L' « opération viande hachée », en anglais, connue en France sous le nom d' « opération Chair à pâtée »), qui fait aujourd'hui l'objet d'un livre passionnant du journaliste britannique Ben Macintyre 1.
Le 30 avril 1943, un pêcheur découvre sur une plage près de Huelva, dans le sud-ouest de l'Espagne, le cadavre décomposé d'un officier britannique en uniforme, à la taille duquel est relié par une chaînette un attaché-case noir. Le portefeuille trouvé à l'intérieur de son imperméable permet de l'identifier : il s'agit du commandant William Martin, des Royal Marines. Les autorités espagnoles en réfèrent aussitôt au vice-consul britannique en poste dans la région, un certain Francis Haselden, et ouvrent l'attaché-case en sa présence.
À l'intérieur, une épaisse enveloppe portant le sceau officiel de l'Amirauté. Haselden refuse cependant de prendre l'enveloppe et insiste pour qu'elle soit remise aux autorités britanniques de manière formelle.
Très (trop ?) curieux, puisque le ministère des Affaires étrangères britannique envoyait au même moment des télégrammes pressants à son homologue espagnol pour s'enquérir du sort de l'attaché-case. L'affaire finit par parvenir aux oreilles d'agents du renseignement du Reich présents en Espagne, qui réussissent à se faire transmettre la fameuse enveloppe, encore scellée, par un officier espagnol complaisant. Grâce à leur capacité de décryptage des messages secrets allemands, les Alliés savent pertinemment que l'enveloppe est entre les mains de leurs ennemis.
Les agents nazis parviennent à libérer l'enveloppe de son contenu sans en briser le sceau. Quel n'est pas alors leur étonnement de découvrir des lettres qui renferment des informations de première main concernant les attaques que les Américains et les Britanniques projettent de lancer prochainement en Europe du Sud ! Selon ces documents, que le commandant Martin devait acheminer de l'État-Major royal impérial au centre de commandement du théâtre méditerranéen, c'est par la Grèce, la Sardaigne et le sud de la France que les Alliés entendent reprendre pied en Europe méridionale. L'information, qui fait bien évidemment l'effet d'une bombe, remonte alors la chaîne de commandement nazi jusqu'au bureau du Führer lui-même, qui craint tout particulièrement un débarquement dans les Balkans. Hitler décide donc, sur la foi de ces documents tendant à confirmer ses craintes, de transférer une division blindée basée en France vers le Péloponnèse... et néglige de renforcer les défenses de la Sicile.
Or le commandant Martin n'a jamais existé, pas plus que n'étaient vraies les lettres censément confidentielles qu'il transportait. Tout était faux. Et c'est en Sicile que, le 10 juillet 1943, 160 000 soldats alliés débarquèrent, avec le succès que l'on sait. L'effet de surprise devait être fatal pour l'armée allemande, dont les troupes présentes en Sicile ne furent mises en alerte que le 9 juillet - la veille du débarquement, donc - par le maréchal Kesselring, le commandant du secteur Méditerranée, après qu'il eut repéré les convois alliés en route vers l'île.
Ce chef-d'oeuvre de désinformation fut le fruit du travail d'une équipe aussi iconoclaste que l'idée d'utiliser un cadavre comme faux messager. Celle-ci figurait dans un rapport rédigé en septembre 1939 par le chef du renseignement naval britannique, le contre-amiral John Henry Godfrey, sur les 51 manières de duper les Allemands en mer. Selon Macintyre, ce rapport fut en réalité écrit par Ian Fleming en personne, le futur père du célèbre agent 007, James Bond, qui puisa l'idée du faux cadavre dans un obscur roman policier de l'entre-deux-guerres.
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