Par SOPHIA ARAM Humoriste
Oui je sais, quelle que soit la compétition, il faut faire preuve de fair-play. Mais, on a beau me dire que je dois me montrer bonne joueuse, accepter le verdict du jury et saluer les vainqueurs, je n’y arrive pas. C’est simple, depuis que j’ai appris que Caroline Fourest a reçu un «Y’a bon award» (1) avant moi, je ne décolère pas. Ils ne m’ont même pas nominée. C’est trop injuste, j’aurais dû l’avoir.
D’abord parce qu’elle est nulle. Niveau racisme, c’est une vraie buse. Sérieusement, Caroline Fourest est bien moins raciste que moi. Elle est incapable du moindre ethnocentrisme, de la moindre blague douteuse, de la moindre généralisation communautaire. Ne dînez pas avec elle, même les blagues sur les Belges ne la font pas marrer. Les Belges, merde, c’est le niveau zéro du racisme ordinaire. Du coup je me pose une question. Comment cette grosse, que dis-je, cette immense salope s’y est-elle prise pour me coiffer au poteau ? C’est quand même pas le fait de critiquer «l’utilisation de gymnases publics par des associations pour organiser des tournois de basket réservés aux femmes, voilées, pour en plus lever des fonds pour le Hamas» qui l’a fait gagner ? Parce que s’il suffisait de dire ça, j’aurais pu gagner. A la limite, je comprendrais que le côté laïcarde (qui me réjouit personnellement) en agace certains. Mais là, il faut qu’on m’éclaire parce que là je ne vois pas de racisme.
Alors pourquoi elle et pas moi ? J’y ai pas droit ? C’est parce que je suis basanée ? Parce que si c’est ça, c’est de la discrimination ou je ne m’y connais pas. Rassurez-vous, je ne demande pas à bénéficier d’un passe-droit ni d’aucune forme de discrimination positive. Je veux juste mon Y’a bon award. Parce que niveau racisme, je suis meilleure que Caroline Fourest. Franchement, à part le fait de ne pas être de la couleur qu’il faut pour obtenir les bonnes grâces du jury, qu’est-ce qu’elle a de plus que moi la Fourest ? C’est quand même pas le fait de s’en être pris à Marine Le Pen ou Tariq Ramadan qui a pu l’avantager. Parce que, je vous assure que sur ce terrain-là, j’ai beau faire preuve d’une argumentation moins fouillée, je revendique un niveau tout à fait compétitif. Alors qu’est-ce que c’est ?
Il faut se mettre Rokhaya Diallo à dos ? Mais si c’est que ça, moi aussi, contrairement à Rokhaya, je suis contre la discrimination positive. Moi aussi, je trouve ça dégueulasse de signer un manifeste contre le soutien à Charlie Hebdo, moi aussi, j’ai un goût plus que modéré pour le voile. Bon, c’est réparé, je peux concourir maintenant ? Ou alors… Mais je n’ose le croire, le jury s’est laissé influencer par les blogs des sympathisants frontistes, des anti-IVG, des intégristes juifs, musulmans ou catholiques valorisant les compétences de Fourest en matière d’antisémitisme, d’islamophobie ou d’hétérophobie. Mais si c’est ça, c’est pas juste. Le jury n’a pas le droit d’écouter des compétiteurs sous prétexte qu’ils sont tombés dans le racisme quand ils étaient petits. Le jury n’a pas le droit d’écouter l’avis des concurrents, c’est déloyal. Oh et puis, excusez-moi, mais le coup de grâce, c’est quand j’ai vu que Barbier m’était passé devant. Barbier, franchement, c’est un gag ? Vous voulez m’humilier ou quoi ? A la limite, un oscar du mauvais goût vestimentaire mais pas un Y’a bon. Et tout ça parce que, d’après lui, «l’affaire du Quick halal vient après l’affaire de la burqa, après l’affaire des minarets. A chaque fois c’est la même chose. La République laïque doit résister […] Il faut dire non à tout cela». Mais si Barbier est distingué pour ça, alors je propose immédiatement de priver Régis Debray de ses droits civiques, et de débaptiser toutes les places Emile-Durkheim de France. Le racisme est une chose trop sérieuse pour être laissée à des amateurs. Et puis, quitte à s’en prendre aux laïcards un peu maladroits, je propose de commencer par vider le Panthéon. Qu’Emile Zola et Jean Jaurès sortent les premiers. Ça fera de la place. J’espère que le jury se rattrapera en 2013 et me donnera un Y’a bon award qui soit à la hauteur de mon niveau de racisme. Ce qui me donnera l’occasion de dire au jury ce que je pense du manque d’éthique dont il a fait preuve pour une compétition, qui, si elle ne m’amusait déjà pas, me désole quand elle consacre quelqu’un qui ne le mérite pas.
Pour me consoler, hier, j’ai pris mon téléphone pour appeler tous ceux qui auraient pu concourir avec moi et qui partagent l’idée que Caroline Fourest est bien moins raciste que nous. Ils sont unanimes (2) : j’aurais dû l’avoir !
(1) Ce prix, soutenu par les Indivisibles, dit vouloir «épingler de manière ludique un système qui continue à diviser […] en utilisant des peurs racistes à des fins politiques». (2) Dominique Sopo (président SOS Racisme), Nicolas Bedos (auteur), Baya Kasmi (scénariste), Michel Leclerc (réalisateur), Guillaume Erner (journaliste), Renaud Dély (journaliste), Tania de Montaigne (écrivaine), Thomas Legrand (journaliste), Darina al-Joundi (comédienne), Patrick Pelloux (urgentiste), Isabelle Alonso (écrivaine), Gérard Miller (psychanalyste).
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