samedi 28 juillet 2012

Les mythes des Jeux Olympiques, ancien et moderne

Les Jeux Olympiques des deux dernières décennies sont devenus exponentiellement plus orientés vers le divertissement. Même la prolifération d'un mercantilisme grossier est un élément positif puisqu'il renvoie les JO au rôle qu'ils remplissent le mieux.

Les Jeux Olympiques commencent, ce qui veut dire qu'à côté des parades d'athlètes, nous allons devoir supporter la parade d'infatués qui essaieront d'utiliser les Jeux pour leur propre promotion. Le Comité Olympique International pense que ce spectacle sportif de plusieurs milliards de dollars est en pratique une sorte de mouvement mondial pour la paix, pendant que les politiciens locaux voient les Jeux comme la toile sur laquelle ils peuvent projeter leurs opinions sur l'économie, le commerce international, les politiques environnementales, et tout ce dont ils peuvent imaginer. Ils ne parlent que de ça.


Lire aussi:
Comment la propriété intellectuelle a transformé les Jeux olympiques en cauchemar cyberpunk

A première vue, il y a assez peu de rapports entre les Jeux olympiques de Londres et les univers dystopiques du cyberpunk, tel qu’ils ont été imaginés à partir des années 80 dans les romans de William Gibson, de Bruce Sterling de Philip K. Dick ou de John Brunner.
A bien y réfléchir cependant, le dopage – dont le spectre rôde sans surprise toujours sur ces jeux 2012 – est déjà un élément qui fait penser au cyberpunk, où les humains cherchent à s’améliorer artificiellement par le biais d’implants bioniques ou l’absorption de substances chimiques.
Mais c’est plutôt à travers la gestion des droits de propriété intellectuelle par le CIO que l’analogie avec le cyberpunk me semble la plus pertinente et à mesure que se dévoile l’arsenal effrayant mis en place pour protéger les copyrights et les marques liés à ces jeux olympiques, on commence à entrevoir jusqu’où pourrait nous entraîner les dérives les plus graves de la propriété intellectuelle.
Une des caractéristiques moins connues des univers cyberpunk est en effet la place que prennent les grandes corporations privées dans la vie des individus. L’article de Wikipédia explicite ainsi ce trait particulier :
Multinationales devenues plus puissantes que des États, elles ont leurs propres lois, possèdent des territoires, et contrôlent la vie de leurs employés de la naissance à la mort. Leurs dirigeants sont le plus souvent dénués de tout sens moral. La compétition pour s’élever dans la hiérarchie est un jeu mortel.
Les personnages des romans cyberpunk sont insignifiants comparativement au pouvoir quasi-divin que possèdent les méga-corporations : ils sont face à elles les grains de sable dans l’engrenage.
Dans les univers cyberpunk, les firmes privées les plus puissantes ont fini par absorber certaines des prérogatives qui dans notre monde sont encore l’apanage des Etats, comme le maintien de l’ordre par la police ou les armées. Les corporations cyberpunk contrôlent des territoires et les employés qui travaillent pour elles deviennent en quelque sorte l’équivalent de “citoyens” de ces firmes, dont les droits sont liés au fait d’appartenir à une société puissante ou non.
Pour les JO de Londres, le CIO est parvenu à se faire transférer certains droits régaliens par l’Etat anglais, mais les romanciers de la vague cyberpunk n’avaient pas prévu que c’est par le biais de la propriété intellectuelle que s’opérerait ce transfert de puissance publique.


Pour défendre ses marques et ses droits d’auteur, mais aussi être en mesure de garantir de réelles exclusivités à ses généreux sponsors comme Coca-Cola, Mac Donald’s, Adidas, BP Oil ou Samsung, le CIO a obtenu du Parlement anglais le vote en 2006 d’un Olympics Game Act, qui lui confère des pouvoirs exorbitants. L’Olympics Delivery Authority dispose ainsi d’une armada de 280 agents pour faire appliquer la réglementation en matière de commerce autour des 28 sites où se dérouleront les épreuves et le LOCOG (London Organizing Committee) dispose de son côté d’une escouade de protection des marques, qui arpentera les rues de Londres revêtue de casquettes violettes pour s’assurer du respect de l’Olympics Brand Policy. Ils auront le pouvoir d’entrer dans les commerces, mais aussi dans les “locaux privés”, et de saisir la justice par le biais de procédures d’exception accélérées pour faire appliquer des amendes allant jusqu’à 31 000 livres…
L’Olympics Game Act met en place une véritable police du langage, qui va peser de tout son poids sur la liberté d’expression pendant la durée des jeux. Il est par exemple interdit d’employer dans une même phrase deux des mots “jeux”, “2012″, Twenty Twelve”, “gold”, “bronze” ou “medal”. Pas question également d’utiliser, modifier, détourner, connoter ou créer un néologisme à partir des termes appartenant au champ lexical des Jeux. Plusieurs commerces comme l’Olympic Kebab, l’Olymic Bar ou le London Olympus Hotel ont été sommés de changer de noms sous peine d’amendes et il existe un Tumblr dénommé OpenOlympics qui recense tous les lieux à Londres qui ont été obligés de se plier à la loi du CIO !
L’usage des symboles des jeux, comme les anneaux olympiques, est strictement réglementé. Un boulanger a été obligé d’enlever de sa vitrine des pains qu’il avait réalisés en forme d’anneaux ; une fleuriste a subi la même mésaventure pour des bouquets reprenant ce symbole et une grand-mère a même été inquiétée parce qu’elle avait tricoté pour une poupée un pull aux couleurs olympiques, destiné à être vendu pour une action de charité !
Cette règle s’applique aussi strictement aux médias, qui doivent avoir acheté les droits pour pouvoir employer les symboles et les termes liées aux Jeux. N’ayant pas versé cette obole, la chaîne BFM en a été ainsi réduite à devoir parler de “jeux d’été” pour ne pas dire “olympiques”. Une dérogation légale existe cependant au nom du droit à l’information pour que les journalistes puissent rendre compte de ces évènements publics. Mais l’application de cette exception est délicate à manier et le magazine The Spectator a été inquiété pour avoir détourné les anneaux olympiques sur une couverture afin d’évoquer les risques de censure découlant de cet usage du droit des marques. Cet article effrayant indique de son côté que plusieurs firmes anglaises préfèrent à titre préventif s’autocensurer et dire “The O-word” plutôt que de se risquer à employer le terme “Olympics“. On n’est pas loin de Lord Voldemort dans Harry Potter, Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Dire-Le-Nom !

Le dérapage vers la censure, le CIO l’a sans doute déjà allègrement franchi. Le blog anglais Free Speech rapporte que les comptes Twitter d’activistes protestant contre la tenue des jeux à Londres ont été suspendus suite à des demandes adressées à Twiter, parce qu’ils contenaient dans leur nom les termes JO 2012. Des moyens exceptionnels de police ont aussi été mis en place pour disperser les manifestations et patrouiller dans plus de 90 zones d’exclusion. Plus caricatural encore, il n’est permis de faire un lien hypertexte vers le site des JO 2012 que si l’on dit des choses positives à leurs propos !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire